ULTIME MESSAGE DE CHRISTIANE SINGER
" C'est du fond de mon lit que je vous parle - et si je ne suis pas en mesure de m’adresser à une grande assistance, c'est à chacun de vous - à chacun de vous, que je parle au creux de l’oreille.
Quelle émotion ! Quelle idée extraordinaire a eue Alain d’utiliser un moyen aussi simple, un téléphone, pour me permettre d’être parmi vous. Merci à lui. Merci à vous, Alain et Evelyne, pour cette longue et profonde amitié - et pour toutes ces années de persévérance.
Des grandes initiatives, comme c'est facile d'en avoir ! Mais être capable de les faire durer - durer - ah, ça c'est une autre aventure ! Maintenant ces quelques mots que je vous adresse.
J’ai toujours partagé tout ce que je vivais ; toute mon oeuvre, toute mon écriture était un partage de mon expérience de vie. Faire de la vie un haut lieu d’expérimentation. Si le secret existe, le privé lui n’a jamais existé ; c'est une invention contemporaine pour échapper à la responsabilité, à la conscience que chaque geste nous engage.
Alors ce dont je veux vous parler c’est tout simplement de ce que je viens de vivre. Ma dernière aventure. Deux mois d’une vertigineuse et assez déchirante descente et traversée. Avec surtout le mystère de la souffrance. J’ai encore beaucoup de peine à en parler de sang froid. Je veux seulement l’évoquer. Parce que c’est cette souffrance qui m’a abrasée, qui m’a rabotée jusqu’à la transparence. Calcinée jusqu’à la dernière cellule. Et c’est peut-être grâce à cela que j’ai été jetée pour finir dans l’inconcevable.
Il y a eu une nuit surtout où j’ai dérivé dans un espace inconnu. Ce qui est bouleversant c’est que quand tout est détruit, quand il n’y a plus rien, mais vraiment plus rien, il n’y a pas la mort et le vide comme on le croirait, pas du tout. Je vous le jure. Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. Il n’y a plus que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, c’est l’immersion. L’amour n’est pas un sentiment. C'est la substance même de la création. Et c’est pour en témoigner finalement que j’en sors parce qu’il faut sortir pour en parler. Comme le nageur qui émerge de l’océan et ruisselle encore de cette eau ! C’est un peu dans cet état d’amphibie que je m’adresse à vous.
On ne peut pas à la fois demeurer dans cet état, dans cette unité où toute séparation est abolie et retourner pour en témoigner parmi ses frères humains. Il faut choisir. Et je crois que, tout de même, ma vocation profonde, tant que je le peux encore - et l’invitation que m’a faite Alain l’a réveillée au plus profond de moi-même, ma vocation profonde est de retourner parmi mes frères humains.
Je croyais jusqu’alors que l’amour était reliance, qu’il nous reliait les uns aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! Nous n’avons pas même à être reliés : nous sommes à l’intérieur les uns des autres. C’est cela le mystère. C’est cela le plus grand vertige.
Au fond je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle : de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre. Oui, c’est la bonne nouvelle que je vous apporte.
Et puis, il y a autre chose encore. Avec cette capacité d’aimer - qui s’est agrandie vertigineusement - a grandi la capacité d’accueillir l’amour, cet amour que j’ai accueilli, que j’ai recueilli de tous mes proches, de mes amis, de tous les êtres que, depuis une vingtaine d’années, j’accompagne et qui m’accompagnent - parce qu’ils m’ont certainement plus fait grandir que je ne les ai fait grandir.
Et subitement toute cette foule amoureuse, toute cette foule d’êtres qui vous portent ! Il faut partir en agonie, il faut être abattu comme un arbre pour libérer autour de soi une puissance d’amour pareille. Une vague. Une vague immense. Tous ont osé aimer, sont entrés dans cette audace d’amour.
En somme, il a fallu que la foudre me frappe pour que tous autour de moi enfin se mettent debout et osent aimer. Debout dans le courage et dans leur beauté. Oser aimer du seul amour qui mérite ce nom et du seul amour dont la mesure soit acceptable : l’amour exagéré. L’amour démesuré. L’amour immodéré.
Alors, amis, entendez ces mots que je vous dis là comme un grand appel à être vivants, à être dans la joie et à aimer immodérément. Tout est mystère.
Ma voix va maintenant lentement se taire à votre oreille ; vous me rencontrerez peut-être ces jours errant dans les couloirs car j’ai de la peine à me séparer de vous. La main sur le cœur, je m’incline devant chacun de vous "
Christiane SINGER
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Christiane Singer, née à Marseille en 1943 et décédée le à Vienne en Autriche, à 64 ans, est une écrivaine, essayiste et romancière française.
Sommaire
Biographie
Son père était d'origine juive hongroise et sa mère moitié russe et moitié tchèque. À cause de la persécution des juifs, ses parents fuient la Hongrie, puis l'Autriche, et s'installent en France, à Paris, en 19351. Elle naît huit ans après, en 1943, à Marseille.
Elle est lycéenne et élève du conservatoire de diction et d’art dramatique à Marseille, puis suit des études de lettres à Aix-en-Provence, où elle obtiendra un doctorat de Lettres Modernes2.
En 1968, elle rencontre le Comte Georg von Thurn-Valsassina2, architecte, qui deviendra son mari, et s'installe en 19731 dans son château médiéval de Rastenberg (Autriche), non loin de Vienne, et y élèvera ses deux fils. Ce château lui inspirera l’œuvre romanesque éponyme en 1996 Rastenberg. Elle organise également sur son domaine des séminaires de développement personnel, dans une maison qu'elle a conçue, et que son mari architecte a construite2.
À la fin des années 1970 elle fonde avec l’éditeur Victor Trimondi le Dianus-Trikont-Verlag à Munich.
Elle a suivi l’enseignement de Karlfried Graf Dürckheim (Approche des sagesses orientales telle que le Zazen)
Elle fut notamment, en Suisse, lectrice à l'université de Bâle, puis chargée de cours à l'université de Fribourg.
Son œuvre et sa réflexion personnelle sont tout entières centrées sur la prise en compte nécessaire du spirituel qui couve dans le cœur de chacun. Elle est un écrivain relativement prolifique, de sensibilité chrétienne imprégnée de sagesse orientale, qui s'abstient de donner des leçons de morale et exclut tout dogmatisme. Elle a obtenu plusieurs prix littéraires, dont le prix des libraires pour La Mort viennoise en 1979, le prix Albert-Camus pour Histoire d'âme en 1989, et le prix de la langue française en 2006 pour l'ensemble de son œuvre.
Elle dira à la radio : « J'ai écrit un livre sur Les Âges de la vie. J'ai tenté de montrer ces métamorphoses de l'être au cours de la vie. Il est évident que tout cela ne vaut que si l'on a appris en cours d'existence à mourir. Et ces occasions nous sont données si souvent ; toutes les crises, les séparations, et les maladies, et toutes les formes, tout, tout, tout, tout nous invite à apprendre et à laisser derrière nous. La mort ne nous enlèvera que ce que nous avons voulu posséder. Le reste, elle n'a pas de prise sur le reste. Et c'est dans ce dépouillement progressif que se crée une liberté immense, et un espace agrandi, exactement ce qu'on n'avait pas soupçonné. Moi j'ai une confiance immense dans le vieillissement, parce que je dois à cette acceptation de vieillir une ouverture qui est insoupçonnable quand on n'a pas l'audace d'y rentrer. »3
En septembre 2006, lorsque son médecin lui annonce qu'il lui reste six mois à vivre4, à la suite d'un cancer, elle écrit un journal au cours de ses derniers mois, qui sera publié sous le titre Derniers fragments d'un long voyage. Christiane Singer est décédée en avril 2007, à l'âge de soixante-quatre ans.
Œuvre
- Les Cahiers d'une hypocrite, éditions Albin Michel, 1965
- Vie et mort du beau Frou, Albin Michel, 1965
- Chronique tendre des jours amers, éditions Albin Michel, 1976
- La Mort viennoise, éditions Albin Michel, 1978
prix des libraires 1979
- La Guerre des filles, éditions Albin Michel, 1981
prix Alice-Louis Barthou de l'Académie française5, 1982
- Histoire d'âme, éditions Albin Michel, 1988, réed. 2001
prix Albert-Camus 1989
- Rastenberg, éditions Albin Michel, 1996
- Les Sept Nuits de la reine, éditions Albin Michel, 2002
- Seul ce qui brûle, éditions Albin Michel, 2006
Prix ALEF 20076
- Les Âges de la vie, éditions Albin Michel, 1983, rééd. 1990
- Une passion. Entre ciel et chair, éditions Albin Michel, 1992, rééd. 2000
- Du bon usage des crises, éditions Albin Michel, 1996
- Éloge du mariage, de l'engagement et autres folies, éditions Albin Michel, 2000
prix Anna de Noailles de l'Académie française 20005
- Où cours-tu, Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?, éditions Albin Michel, 2001
- N'oublie pas les chevaux écumants du passé, éditions Albin Michel, 2005
- Derniers fragments d'un long voyage, éditions Albin Michel4, 2007 ; essai / récit / journal
- Collectif
- La Quête du sens, collectif, Albin Michel, 2000, réed. 2004. Avec Cheikh Khaled Bentounès, Marie de Hennezel, Roland Rech, Stan Rougier, Lama Puntso, Swâmi Saraswati, Jean-Paul Guetny, Richard Moss.
- Le Grand Livre de la tendresse, Albin Michel, 2002, collectif, sous la direction de Gérald Pagès, avec les participations de Boris Cyrulnik, Marie de Hennezel, Dr Gérard Leleu, Jean-pierre Relier, Stan Rougier, Dr Michèle Salamagne, Jacques Salomé, Paule Salomon, Christiane Singer
Distinctions
- 1979 : prix des libraires pour La Mort viennoise
- 1982 : prix Alice-Louis Barthou de l'Académie française pour La Guerre des filles5
- 1989 : prix Albert-Camus pour Histoire d'âme
- 1993 : prix des écrivains croyants pour Une passion. Entre ciel et terre7
- 2000 : prix Anna de Noailles de l'Académie française pour Éloge du mariage, de l'engagement et autres folies5
- 2006 : prix de la langue française pour l'ensemble de son œuvre
- 2007 : prix ALEF pour Seul ce qui brûle6
Documentaire sur l'auteur
- Passion - Hommage à Christiane Singer, de la cinéaste autrichienne Carola Mair8, documentaire, 45 min.
Notes et références
- Biographie, sur le site de son éditeur, Albin Michel. [archive]
- Article de Monique Beltrame, sur le site de Mediapart. [archive]
- Entretien avec Thierry Lyonnet sur RCF, 2001.
- Présentation du livre Derniers fragments d'un long voyage, sur le site de l'éditeur, Albin Michel [archive]
- Ses deux prix de l'Académie Française, sur le site officiel. [archive]
- Lauréats du prix ALEF, sur le site Prix-littéraires.net. [archive]
- Liste des lauréats, sur le site des Ecrivains Croyants. [archive]
- Page de présentation du documentaire, sur le site du producteur. [archive]