Les choses qui s'écroulent sont une sorte d'épreuve, mais aussi une sorte de guérison.
On pense que l'essentiel est de venir à bout de l'épreuve ou de triompher du problème, mais la vérité est que les choses ne sont pas vraiment résolues.
Il y a réconciliation puis écroulement. On les réconcilie encore et elles s'écroulent de nouveau.
La guérison vient de ce qu'on laisse de l'espace pour que tout ça se produise :
de l'espace pour la douleur, pour le soulagement, pour la tristesse, pour la joie.
Pema Chödrön
Et si on n’était pas censé être heureux ?
C’est une pensée qui peut sembler étrange.
On tient généralement pour acquis que c’est le but ultime de notre vie.
Oui, on est censé focaliser sur le positif, revisiter tous les soirs
notre liste de gratitude, surmonter les obstacles comme des champions.
Et le résultat est le bonheur. Tout ce qu’on vit est une étape vers cet objectif.
Dites-moi… Est-ce que ça fonctionne pour vous?
Cette idée vous est-elle utile, en rétrospective?
Contribue-t-elle à votre bien-être?
Exiger d’être heureux est un peu odieux, quand on pense à ce que comporte une vie humaine. Pour commencer, on doit délaisser notre belle paire d’ailes et atterrir dans un monde dense et lourd qui nous accueille avec une claque sur les fesses. On doit non seulement surmonter des épreuves de toutes sortes, mais composer avec de mystérieuses blessures de l’âme et divers mouvements cosmiques qui nous font vivre des remous incompréhensibles. On doit cohabiter avec cet ego qui ne se sent jamais satisfait, ou à la hauteur, ou en sécurité. Vivre dans un corps qui nous limite et qui devient douloureux par moments. Faire face à notre mort, ainsi qu’à celle des personnes qu’on aime plus que tout au monde, et vivre chaque moment conscient de ce qui nous attend. On doit aussi être témoin de la douleur de nos proches, et de celle de nos millions de frères et sœurs partout sur la planète. Donc oui, on doit faire tout cela. Oh, et on doit être heureux en plus?
Si le but de la vie était d’être heureux, il me semble qu’elle serait cruelle. Ce serait comme nous faire jouer à un jeu truqué dont on est certain de sortir perdant.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais si on regarde la réalité objectivement, il semble assez clair que le but (présumant qu’il y en a un… croisons les doigts! ;) n’est pas de nous combler, mais au contraire de nous détruire – de briser les parties de nous qui sont fragiles, afin qu’on ait la motivation de découvrir notre véritable force. On reçoit des bonbons, puis ils nous sont enlevés, encore et encore, jusqu’à ce qu’on en ait assez des hauts et des bas et qu’on parte à la recherche de cet espace intérieur sacré qui ne peut être ébranlé. N’est-ce pas votre expérience?
Bien sûr, il y a les colibris. Et les sourires. La bonté spontanée des gens. Le chocolat noir. Le soleil et l’océan. La musique de Mercedes Bahleda (à mon avis, ça vaut la peine de s’être incarné juste pour entendre son Ave Maria). Il y a une quantité incroyable de petits et de grands bonheurs au quotidien, et on gagne tellement, comme on nous le répète d’ailleurs régulièrement, à les savourer encore davantage. Oh, c’est un fait, on reçoit une foule de cadeaux qu’on remarque souvent à peine. Cela dit, peut-être pouvons-nous nous donner un peu plus de crédit… Car savourer ces petits trésors alors qu’on vit une existence humaine remplie de responsabilités, de deuils et de défis est parfois comme essayer de savourer un verre de vin en regardant notre maison se faire réduire en cendres. C’est difficile. Parfois, c’est impossible. Et quand on est vraiment au bout de nous-mêmes, le geste le plus sain et le plus courageux n’est souvent pas d’essayer de savourer joyeusement notre verre de vin, mais de se permettre de le fracasser sur le sol.
Il existe une gamme complète d’émotions humaines – la colère, la rage, la tristesse, la jalousie, l’impatience… Établir que le but est de n’en ressentir qu’une seule est non seulement irréaliste et un peu violent, mais toxique, car ces émotions qu’on refuse de ressentir stagnent à l’intérieur de nous et se transforment en poison. On peut certainement réduire leur nombre et leur intensité, au départ, en apprenant à choisir minutieusement nos pensées, en calmant notre mental par une forme ou une autre de méditation, etc. Oui, on peut faire des miracles en transformant notre dialogue intérieur. Mais la vie reste un processus de mort et de renaissance – aucune attitude positive ne peut changer cela. Et si on réduit notre vie à une quête de bonheur, on passe à côté du bonheur et de notre vie.
Une chenille dans un cocon est-elle heureuse (ou le serait-elle, si elle avait des émotions)? Deviendrait-elle un papillon si être confortable et satisfaite était sa priorité? Glamouriser la souffrance n’est pas mieux que de la nier, et il y a une différence entre faire face à la noirceur et ériger des monuments en son honneur, mais on pourrait dire que c’est en partie notre insistance à être tout le temps heureux qui nous empêche de l’être. Si on se ferme aux inévitables mouvements de destruction et aux émotions difficiles qui les accompagnent, on reste figé dans un bien-être de surface qu’on ne peut même pas apprécier, sentant sa fragilité et la détresse refoulée qui bouillonnent en dessous et qui menacent constamment d’éclater.
(J’aurais dû vous prévenir que ce serait un petit message léger… ;-)
On a tellement honte de cette partie de nous toute petite et souffrante. On regarde les belles photos que les gens partagent dans les médias sociaux, et on pense qu’on est un cas spécial. Se croyant coupable de notre humanité, on la cache dans le garde-robe, ou on la couvre d’une couche de peinture rose. C’est plus facile de l’ignorer. Or, cette faiblesse qu’on craint tant est notre plus grande force. Parce qu’il n’y a pas de plus grande force que la vérité. C’est là que la Vie, que le divin, nous attend – dans la vérité – non pas dans le bonheur, ou dans un idéal, ou sur le sommet d’une quelconque montagne.
Donc non, on n’est pas censé être heureux. On est censé être exactement tel qu’on est maintenant. On est censé arrêter de s’attaquer avec tout ce qu’on se croit censé faire ou être, justement, et apprendre à accueillir tendrement cette partie de nous qui est si triste, frustrée et effrayée, sachant qu’elle veut elle aussi se tourner vers la lumière et qu’elle demande juste d’être entendue et apaisée. Et non, le résultat n’est pas qu’on sera toujours «heureux». Il est beaucoup plus grand.
Je vous souhaite une belle journée! Une belle semaine en fait…
Avec tout mon amour,