Que ce soit au bureau avec nos collègues de travail ou nos supérieurs, dans notre famille avec nos proches, au magasin avec un vendeur ou par le biais des médias, il peut nous arriver à tous d’être pris au piège de la manipulation, avec tous les effets néfastes que cela implique sur la relation et sur notre estime de nous-même. Voici quelques repères pour la reconnaître et éventuellement s’en préserver.
C’est important de définir ce terme, car tout n’est pas de la manipulation. Il s’agit en fait d’une manœuvre, volontaire ou non, pour obtenir de quelqu’un, vous en l’occurrence, qu’il fasse quelque chose qu’il ne veut pas nécessairement faire, donc pour modifier son comportement, sans qu’il s’aperçoive qu’on le lui fait faire. Alors qu’un véritable contact se fait dans la confiance et l’intimité entre deux personnes, la manipulation est une relation à distance entre une personne qui se retire du contact et une autre personne qu’elle considère davantage comme une chose.
Les manœuvres manipulatrices créent inévitablement une perte du contact. En fait, le manipulateur (vous comprenez que la forme masculine de ce terme n’est que littéraire, puisque cette façon malheureuse d’entrer en relation avec les autres est aussi répandue chez les membres des deux sexes) ne cherche pas une relation véritable, parce qu’il a peur de s’exposer, d’être vulnérable ou d’être jugé. Un rapport véritable implique un risque, ce qu’il ne veut pas courir. Il choisit au contraire de contrôler ceux qui l’entourent.
Quelques exemples de manipulation
- Vous voulez exprimer un besoin ou vous avez une récrimination à faire à votre supérieur, mais il réagit tout de suite en disant que si vous n’êtes pas content, il peut mettre quelqu’un d’autre à votre place, que bien des gens seraient contents d’avoir le poste que vous occupez. Sous ces menaces à peine voilées, vous décidez de vous taire.
- Au supermarché, votre enfant hurle pour que vous le fassiez monter dans le panier roulant, malgré votre interdiction. De guerre lasse, devant les regards réprobateurs des autres clients qui se demandent pourquoi vous torturez ainsi votre enfant, vous lui accordez ce qu’il demande.
- Vous appelez un de vos parents pour prendre de ses nouvelles. Malgré vos visites récentes, il se plaint de sa solitude, mentionne que la voisine reçoit la visite de ses enfants, elle, allant même jusqu’à sous-entendre que tout le monde serait bien mieux s’il n’était plus là… Vous aviez une bonne intention au départ, mais en raccrochant, vous vous sentez mal, coupable, et décidez d’aller le voir le soir même ou le lendemain, mettant de côté une autre de vos obligations.
Comme vous le voyez, tous ces exemples ont un point commun: une autre personne réussit, volontairement ou non, consciemment ou pas, à vous influencer pour que vous agissiez d’une façon qui réponde à ses besoins et non aux vôtres, parfois d’une manière détournée, et
Pourquoi est-on vulnérable à la manipulation?
Les raisons de notre vulnérabilité à la manipulation sont multiples et différentes d’une personne à l’autre. De façon générale, un premier grand groupe d’explications tient à la motivation et à ses deux grandes forces: l’évitement de la souffrance et la recherche du plaisir.
Ainsi, une personne manipulatrice peut vous motiver à faire ce qu’elle veut parce qu’elle touche chez-vous une corde sensible et provoque un malaise ou une émotion que vous ne voulez pas ressentir. Personne n’aime souffrir et ressentir de la culpabilité, de la peur, de l’insécurité, de l’impuissance, du doute, etc. On est ici dans l’évitement de la souffrance.
Lorsque notre image de nous-même est quelque peu défaillante, en d’autres termes, lorsque nous ne sommes pas sûr de nous, de ce que nous sommes vraiment, de ce que nous voulons, la manipulation peut plus facilement provoquer en nous le doute, la culpabilité. Par exemple, quelqu’un boude parce que vous avez dit ou fait quelque chose et, pour éviter la culpabilité, vous dites que vous ne le pensiez pas vraiment plutôt que d’endurer la bouderie. Le no 3 plus haut en est une bonne illustration.
La tactique de manipulation peut aussi toucher une de nos peurs, comme celle d’être jugé. Personne n’aime se faire reprocher d’être égoïste, incompétent, ingrat ou inhumain. Ce peut aussi être la peur de blesser, de ne pas être aimé ou celle de perdre un avantage, de perdre l’affection, le respect, un avantage matériel ou même son emploi (exemple no 2).
Ou encore, la personne manipulatrice peut contrôler notre comportement en nous faisant miroiter l’espoir d’un gain quelconque. Elle nous fera espérer un avantage affectif, de l’attention, de la reconnaissance, du statut, de l’amour même ou un avantage matériel comme de l’avancement professionnel, la possibilité d’atteindre plus facilement nos buts, d’obtenir des résultats, des récompenses tangibles. On est ici dans l’autre grande force de la motivation: la recherche du plaisir.
Bien sûr, les deux types de motivation peuvent coexister chez chacun d’entre nous, selon les contextes. Cependant, chacun possède une stratégie qui prédomine sur l’autre, une sorte de programme mental qui vient influencer son action, peu importe les décisions qu’il a à prendre: certains sont davantage motivés par le bâton, par l’évitement; pour d’autres, c’est la perspective d’une carotte qui les motive à agir. Reconnaître cette tendance fondamentale chez soi nous permet de mieux comprendre pourquoi la manipulation agit sur nous.
Un exercice
- Je vous invite à penser à une situation précise dans le passé où vous avez eu le sentiment de vous être fait avoir, d’avoir été l’objet d’une manipulation.
- Demandez-vous ensuite pourquoi vous vous êtes-vous laissé manipuler?
- Était-ce pour éviter un malaise? Si oui, lequel? Par exemple, sortir d’une émotion désagréable (le doute, la peur, la culpabilité…), éviter des représailles, ne pas perdre quelque chose, etc.
- Était-ce dans l’espoir d’un avantage, d’un gain? Si oui, lequel? Attention, amour, reconnaissance, statut, avancement, etc.
- Était-ce un mélange des deux forces? Précisez.
Vous faites déjà un premier grand pas pour sortir du cercle vicieux de la manipulation quand vous cherchez et trouvez ce que vous voulez éviter et/ou ce que vous avez à gagner à vous laisser manipuler.
Que votre motivation soit de l’ordre de l’évitement d’un malaise, d’une émotion désagréable ou d’une conséquence négative ou de l’ordre de l’espoir d’un gain, il reste que la manipulation opère moins chez certaines personnes, particulièrement celles dont les seuils du malaise ou de l’espoir sont très élevés. Par contre, la personne qui ne tolère pas longtemps l’inconfort va réagir plus rapidement et sera plus facile à manipuler. Par exemple, elle cèdera plus rapidement au chantage de son enfant qui hurle plutôt que d’endurer ses pleurs. Elle se laissera séduire plus rapidement par la personne qui use de ses charmes pour désarmer sa colère (exemple no 1), plutôt que de se sentir odieuse d’être en colère. Elle pliera devant la menace pour éviter de ressentir la peur ou pour acheter la paix.
----
2
Connaissez-vous des manipulateurs? Si vous avez parfois l’impression, avec certaines personnes, de toujours tout faire de travers, que rien n’est jamais assez bon à leurs yeux, qu’elles sont les seules à faire les choses correctement. Si vous vous êtes déjà fait “vendre” quelque chose (au sens propre comme au sens figuré) dont vous n’aviez pas besoin. Si vous connaissez des parents qui décident de l’orientation et de la carrière de leur enfant ou des enfants qui ont le don de cajoler leurs parents ou leurs grands-parents pour avoir d’eux ce qu’ils désirent. Ou encore, si vous avez côtoyé quelqu’un qui s’est servi de ses charmes pour distraire son patron ou l’entourage d’un travail mal fait. Si vous avez croisé un homme d’affaire ou un patron pour qui ses employés ne sont que des moyens d’atteindre du succès ou de l’avancement. Si vous avez connu des parents qui, en prenant de l’âge, se servaient de leurs maladies pour attirer l’attention de leurs enfants trop occupés. Si enfin vous avez déjà entendu des politiciens qui promettaient tout, sauf des hausses de taxes… … alors vous connaissez des manipulateurs.
Nous pouvons tous, à notre façon, être des manipulateurs et en être les victimes. Mieux connaître leurs stratégies et moyens d’actions privilégiées peut nous permettre, non seulement de sortir du cercle vicieux dans lequel la manipulation nous enferment, mais de créer des relations interpersonnelles plus satisfaisantes et plus épanouissantes. Dans le premier article (voir Manipulation: la comprendre pour mieux l’éviter (1)), j’ai défini la manipulation et donné un premier grand groupe d’explications qui peuvent expliquer notre vulnérabilité aux manipulateurs (1). Mais je crois aussi qu’en connaissant mieux les sortes de manipulateurs et surtout en reconnaissant ceux auxquels nous sommes le plus sensible, nous pourrons mieux nous en protéger. Je vous présente donc ici un modèle que je considère particulièrement intéressant, celui du regretté psychologue, auteur et professeur américain Everett L. Shostrom (2).
Shostrom fait la distinction entre les manipulateurs actifs et passifs et nous présente huit sortes de manipulateurs, quatre dans chaque catégorie. Les manipulateurs actifs se caractérisent par une recherche active du contrôle qu’ils veulent garder à tout prix. Pour employer un anglicisme, ils victimisent les autres, capitalisent sur leur faiblesse et trouvent leur gratification par l’exercice d’un contrôle gratuit sur les autres. On retrouve ici le Dictateur, le Juge, la Brute et le Calculateur.
Les manipulateurs passifs quant à eux cherchent le contrôle par des méthodes passives, utilisant des moyens subversifs. Ils s’organisent pour ne jamais offenser et gagnent le plus souvent. Ce sont la Victime, le Dépendant, l’Aimable et le Protecteur. Je me contenterai ici d’en faire une très brève description en les combinant deux par deux, puisque chaque type actif a son pôle opposé passif et vice-versa. En effet, les manipulateurs exagèrent un type ou une combinaison de types et projettent son opposé sur les autres, en en faisant des cibles. Par exemple, la Victime va souvent prendre un conjoint Dictateur et le contrôler par des moyens subversifs. La figure 1 vous permettra de situer et de visualiser ces comportements manipulateurs et leur complémentarité.
Le Dictateur et la Victime
Alors que le Dictateur exagère sa puissance, son pouvoir, la Victime exagère sa sensibilité. Le Dictateur domine, ordonne (pensez à l’enfant-roi, au supérieur abusif, à la “mère supérieure”.). Il pourra citer des références pour appuyer ses dires ou parler au nom de principes moraux et fera tout pour contrôler sa victime. La Victime jouera plutôt l’inquiet, le stupide, le confus. Il oublie, n’entend pas, collectionne les injustices, les drames dont il peut vous parler en long et en large et fera tout pour rendre l’autre responsable de sa situation.
Le Calculateur et le Dépendant
Alors que le Calculateur exagère son contrôle, le Dépendant exagère sa dépendance. Le Calculateur trompe, flatte, ment, essaie constamment de duper et de contrôler les autres. On pense ici au vendeur à pression, au séducteur, au joueur, au maître-chanteur. «Tu es vraiment le seul qui me comprend !», «Tu connais si bien le dossier…» dira-t-il pour nous amadouer. Le Dépendant cherche lui à inspirer la pitié pour être pris en charge, pour être conduit et éventuellement berné. Il laisse les autres faire son travail à sa place. Pensez à l’éternel enfant, à l’hypocondriaque, au sans défense, au pleurnichard, au boudeur.
La Brute et l’Aimable
La Brute exagère son agressivité, sa cruauté, sa rudesse alors que l’Aimable exagère son amour, sa gentillesse. La Brute intimide, fait des menaces directes ou implicites de toute sorte: «Ne me déçois surtout pas !» – «Tout dépend de toi!» – «Il y en a d’autres qui aimeraient bien avoir ce poste-là…». L’Aimable, on pourrait aussi dire le bon gars ou la bonne fille, tue par sa gentillesse. D’ailleurs, il gagne toujours quand il est en conflit avec la Brute. Alors que la Brute humilie, menace, peut être odieuse, méchante, l’Aimable est non-violent, ne s’implique pas, est vertueux, non-offensant. «Comment peut-on lui faire ça? C’est tellement un bon gars.»
Le Juge et le Protecteur
Le Juge exagère son côté critique alors que le Protecteur exagère son support. Le Juge se méfie de tout et de tous. Il est culpabilisant, garde de la rancune et est très lent à pardonner. Il sait tout, blâme, collectionne les ressentiments, est très moral. Le Protecteur lui ne juge jamais, même quand il y a faute. C’est celui qui gâte les autres, qui est hyper sympathique à leur cause, qui souffre même pour eux. Sans lui, qu’allez-vous devenir? C’est un sauveur, un martyr, un aidant. Il est embarrassé pour les autres et vous êtes en dette envers lui. «Après tout ce que j’ai fait pour toi…» Plutôt que de s’occuper de ses propres besoins, il ne s’occupe que de ceux des autres.
Communiquer avec un manipulateur
Retenez qu’on ne communique pas normalement avec un manipulateur. En effet, comme je l’ai déjà souligné, pour les manipulateurs, l’expérience humaine n’a qu’un but: le contrôle. Il ne communique pas avec une personne, mais avec une chose. Ce qui caractérise le plus sa façon de communiquer, c’est la confusion. Il n’exprime pas clairement ses besoins, ses sentiments et ses opinions et ses réponses sont très souvent évasives. Souvent, il nous faut décoder entre le verbal et le non-verbal, deviner, interpréter. Par exemple, son langage non-verbal nous indique qu’il boude, qu’il est en désaccord, mais il dit qu’il ne boude pas, que tout est correct.
De plus, il écoute de la mauvaise façon. Il fera par exemple de l’écoute sélective, n’écoutant que ce qui fait son affaire, que ce qui va dans le sens de ses idées pour s’en resservir, évitant même certains sujets. Il pourra aussi faire de l’écoute défensive, typique quand il est en position d’autorité. Ou encore de l’écoute impatiente, interrompant souvent l’autre, complétant ses phrases pour prendre le contrôle. Et même parfois il écoutera attentivement juste pour pouvoir vous prendre en défaut, posant des questions pour mieux attaquer, portant des jugements, posant un diagnostic. Bref, iI N’ÉCOUTE PAS et il faut faire le deuil d’une communication idéale avec le manipulateur (hum… difficile de lâcher-prise)
La solution ne viendra donc pas de lui et il nous faut impérativement trouver des moyens de modifier cette communication faussée et apprendre à décoder la communication. Nous nous arrêterons à cet aspect dans le prochain article: Manipulation: 6 pistes pour reprendre le contrôle (3).
Notes
- La forme masculine de ce terme n’est que littéraire, puisque cette façon malheureuse d’entrer en relation avec les autres est aussi répandue chez les membres des deux sexes.
- SHOSTROM, L. Everett (1968) Man the Manipulator – The Inner Journey from Manipulation to Actualization. Bantam Books. 188 pages.
Source :
http://oserchanger.com/blogue_2/