«Lors de ma première naissance, je n'étais pas là. Mon corps est venu au monde le 26 juillet 1937 à Bordeaux. On me l'a dit. Je suis bien obligé d'y croire puisque je n'en ai aucun souvenir.
Ma seconde naissance, elle, est en pleine mémoire. Une nuit, j'ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là.»
B. C.
C'est cette histoire bouleversante que Boris Cyrulnik nous raconte pour la première fois en détail dans ce livre où l'émotion du survivant se conjugue au talent de l'écrivain, où le récit tragique se mêle à la construction de la mémoire, où l'évocation intime d'une enfance fracassée par la guerre exalte la volonté de surmonter le malheur et de répondre à l'appel de la vie.
Une histoire poignante, hors du commun, qui retentit profondément en chacun d'entre nous.
Boris Cyrulnik, né le 26 juillet 1937 à Bordeaux, possède de nombreuses cordes à son arc : psychiatre, psychanalyste, il est aussi responsable d'un groupe de recherche en éthologie clinique à l'hôpital de Toulon, matière qu'il enseigne également dans cette ville. Il a largement contribué à faire (re)connaître cette discipline, la seule qui permette selon lui une compréhension globale de l'Humain. On lui doit également le concept de résilience lié à une douloureuse expérience personnelle. Né dans une famille juive, il a été raflé en 1943 avec une partie de sa famille. S'il a réussi à s'échapper, ses parents sont tous deux morts en déportation et il a donc du se construire sans eux. Homme de convictions, il a fait partie des 43 personnalités constituant la commission Attali sur les freins à la croissance en 2007, et milite toujours pour la non-violence. Depuis les années 1980, il se consacre essentiellement à la transmission et la vulgarisation de son savoir à travers.
1) Qui êtes-vous ? !
Mon éditeur dit que je suis un grand écrivain. Ma femme dit que je suis un mari parfait. Mes enfants disent que je suis un père adorable.
Seuls ceux qui ne me connaissent pas peuvent dire qui je suis.
2) Quel est le thème central de ce livre ?
Mémoire ou Histoire ? Ce qui est dans ma mémoire ne correspond pas à la mémoire historique. Mais les archives se trompent-elles aussi. Cette réflexion à propos de mon enfance, emprisonnée, traquée et libérée. L'après-guerre a été le moment le plus difficile.
3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ?
Le titre «Sauve-toi, la vie t'appelle».
4) Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?
«L'après midi d'un aphone». Le livre porte sur la difficulté de parler à ceux qui ne veulent rien entendre.
5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ?
J'aimerais partager un doute, la mémoire qui nous constitue authentiquement est-elle une représentation du passé ou la vérité passée ?
6) Avez-vous des rituels d'écrivain ? (Choix du lieu, de l'horaire, d'une musique de fond) ?
Tous les matins, je me mets à ma table de travail vers 6h et j'écris jusqu'à 13h, en levant parfois la tête pour regarder l'état de la mer.
7) Comment vous vient l'inspiration ?
L'inspiration ne vient jamais. C'est moi qui vais la chercher en pensant à mes rencontres professionnelles, amicales, à mes lectures et à mes carnets de notes.
8) Comment l'écriture est-elle entrée dans votre vie ? Vous êtes-vous dit enfant ou adolescent «un jour j'écrirai des livres» ?
À l'âge de huit ans j'ai décidé d'écrire, d'abord des «rédactions», puis des articles, puis des livres confidentiels, puis des livres...
9) Vous souvenez-vous de vos premiers chocs littéraires (en tant que lecteur) ?
Zola, Jules Vallès, Oliver Twist. Ces auteurs ont écrit ma biographie.
10) Savez-vous à quoi servent les écrivains ? !
Sans les écrivains, nous aurions des idées claires, donc fausses. Par bonheur, les écrivains compliquent tout.
11) Quelle place tiennent les librairies dans votre vie ?
Quelques personnes se font interdire de casino par ce qu'elles y perdent trop d'argent. J'envisage de me faire interdire de librairie.
Le célèbre neurologue, éthologue et psychiatre publie Sauve-toi, la vie t'appelle, ses "Mémoires", essentiellement d'enfance et de jeunesse. Mais, chez Boris Cyrulnik, le mot "mémoire" n'a pas qu'un sens littéraire. Il désigne aussi notre faculté à collecter des souvenirs. Comment la mémoire fonctionne, comment elle sélectionne, comment elle se trompe, comment elle restitue l'histoire, pourquoi elle est capitale dans la construction de notre personnalité, surtout quand, au départ de la vie, elle a enregistré l'insoutenable, un trauma, une violente et fondatrice émotion...
Les faux souvenirs ne sont pas des mensonges, ce sont des accommodements pour le meilleur et non pour le pire. "La vérité narrative n'est pas la vérité historique, elle est le remaniement qui rend l'existence supportable." Comme la plupart des déportés de retour des camps, Boris Cyrulnik s'est réfugié dans le silence après la guerre. Il s'était tu pour survivre ; il se taisait pour vivre.
Les commentaires sur le livre de Boris Cyrulnik n'apporteront rien. Il faut le lire. Absolument. « Ma vie mentale s'était arrêtée à l'âge de 2 ans, quand ma mère s'est retrouvée seule, après l'engagement de mon père dans l'armée française, et angoissée par l'imminence de son arrestation. Puis ont suivi pour moi quelques années de traque, de côtoiement de la mort et d'isolement sensoriel. Les brisures affectives, sans cesse répétées, l'interdiction de sortir ou d'aller à l'école, le sentiment d'être un monstre ont rendu impossible le moindre développement. Je n'ai pas souffert pendant ces agressions puisque mon âme était gelée. On ne ressent rien quand on est en «agonie psychique», on respire un peu, c'est tout. » Qu'ajouter à cela ? Que dire de plus ?...
La réalité ne correspond pas toujours aux souvenirs. Comme pour mieux s'accommoder du passé. Le récit de son histoire douloureuse est passionnant. Mais il n'est pas l'objet du livre. Le neuropsychiatre en tire des analyses qui aideront tous ceux qui cherchent à sortir d'un passé empreint de malheur. Nous retrouvons ce qu'il nous avait déjà enseigné sur le principe de résilience. C'est pour cette raison qu'il ne faudrait pas passer à côté de ce témoignage.
Boris Cyrulnik ouvre toutes grandes les portes de sa "crypte", boîte de Pandore d'où surgit un récit autobiographique bouleversant de sincérité...
Il reconstitue son passé avec ses abîmes, ses souffrances, ses souvenirs trompeurs, ses doutes, ses zones d'ombre... Tel un enquêteur, il reconstitue le puzzle de sa vie. Boris Cyrulnik est un grand résilient, cette faculté humaine à rebondir sur les traumatismes, à laquelle il a consacré de nombreux ouvrages. Au travers de ce livre, il se prend comme objet d'étude. Cherchant à démêler le "vrai" du "faux", il traque ses souvenirs. Certains réels, d'autres enjolivés, inconsciemment, pour donner cohérence à l'impensable, pour pouvoir survivre, attraper les mains qui lui étaient tendues...
Ses parents mourront au camp d'extermination d'Auschwitz. "Comment vivre avec eux puis soudain sans eux ? Il ne s'agit pas d'une souffrance ; on ne souffre pas dans le désert, on meurt, c'est tout", analyse-t-il.
Source :
http://www.20minutes.fr/culture/